Les petites majorettes grelottent. Ça ne les empêche pas de faire tourbillonner leurs bâtons au son de la fanfare. N’empêche qu’elles claquent des dents. Juste derrière elles, la ligne des joueurs de tambours avancent les yeux fermés (et pourtant personne ne dévie d’un iota dans cette marche réglée au millimètre près). Pas moyen de faire autrement avec le vent qui leur envoie la neige en plein visage.
Cette année, la parade de la St Patrick se déroule sous la neige. Enfin… A 11h ce matin quand les premiers groupes se sont élancés sur la 5th Avenue, il ne neigeait pas encore, mais moi, je n’y étais pas. Bien sûr, maintenant que c’est la tempête, version blizzard, je suis là, agrippée à ma barrière, essayant de prendre des photos en protégeant mon appareil. C’est une impression où les conditions climatiques se dégradent de minute en minute ?
200 000 participants cette année
Chaque 17 mars, la fête nationale irlandaise célèbre Saint Patrick, le saint patron de l’Irlande. Depuis 1762, les nombreux Irlandais installés à New York et leurs descendants perpétue la tradition en organisant de gigantesques festivités, dont le clou est sans conteste la fameuse parade remontant la 5th Avenue. Avec pas loin de 200 000 participants cette année, cette parade peut se targuer d’être la plus importante du monde.
Sauf qu’elle a lieu le 16 mars (pour des questions religieuses, visiblement, le 17 tombant un dimanche). Et que c’est le pire jour de la semaine question météo !
J’ai de la peine pour les majorettes dans leur tenue trop légères. Les groupes défilent régulièrement. Interminable procession de toutes les associations, de toutes les Universités et écoles, de tous les regroupements d’Irlandais organisés en corps de métiers : clubs de joueurs de cornemuses (oh, pardon : « pipes »…), associations de vétérans, syndicats, fanfares « pipes and drums » de la police, des hôpitaux, sociétés gaéliques, regroupements d’avocats, de chefs d’entreprises, et même les Marines d’origine irlandaise… Personne ne s’en rend vraiment compte, mais le bagpipe est beaucoup plus populaire qu’on ne l’imagine : le moindre lycée a son groupe ! Et à mon sens, les joueurs de tambours et de pipes sont moins à plaindre que les petites majorettes. Au moins, quilts et gros tricots irlandais les protègent un peu. Même si, apparemment, le mot d’ordre est : jambes nues pour tout le monde !
Des trèfles dessinés sur le visage
Une nouvelle fois, les majorettes lancent vaillamment leurs bâtons dans les airs.
Le groupe qui les suit est l’association des travailleurs irlandais-américains du Comté d’Orange. J’ai les pieds gelés à force de piétiner derrière ma barrière depuis deux heures. Des jeunes gens surexcités, en vert de la tête aux pieds, des trèfles dessinés sur le visage, se baladent en t-shirt comme si de rien n’était. Au passage du groupe d’Orange, ils lèvent leurs bières. C’est peut-être pour ça… Je trouve qu’il est un peu tôt pour une bière, mais je comprends le toast. Ces messieurs du Comté d’Orange avancent fièrement, impeccables dans leurs quilts rouges, la tête surmontée d’une coiffe en fourrure. Le gentleman ouvrant la marche est d’un âge plus que certain. Il brandit un bâton et impose le rythme de la marche et de la musique. Un rythme qui jamais ne faiblit.
Soudain, le froid et la neige ne sont plus si importants. Il y a quelque chose de profondément émouvant à voir ces personnes, du joueur de cymbales de son lycée, au représentant plus tout jeune des vétérans, braver les éléments pour avancer coûte que coûte, vaillamment… fièrement !
Le Comté d’Orange fait une petite pause pour permettre aux majorettes d’avancer un peu plus. Un des joueurs de pipe doit avoir pas loin de 80 ans. De la neige s’est accumulée dans sa grosse barbe grise. D’un geste presque négligent, il essuie ses lunettes. Une rafale de neige les embue de nouveau presque immédiatement. Le leader lève son bâton… Les têtes se redressent, les poitrines se gonflent… et le groupe se remet en marche ! Le vieux monsieur avec sa grosse barbe grise enneigée souffle dans son pipe… Fièrement ! Le vent et la neige n’existent plus. Sur les côtés, les jeunes gens lèvent leurs bières une nouvelle fois.