Prendre le métro, sortir de Manhattan, traverser l’Hudson, descendre Brooklyn jusqu’à Stillwell Avenue… Rien que ça donne l’impression de partir en voyage.
Dès la sortie du métro, l’immense parc d’attraction de Coney Island s’étale le long de la mer. J’adore cet endroit qui, malgré les rénovations récentes, garde encore un côté vieillot et désuet. Il y a dans l’air comme une odeur de dimanche d’enfance.
Il n’y a pas foule. Quelques touristes déambulent entre les stands, déjà fermés jusqu’à la saison prochaine. En longeant la plage quasi déserte, je passe devant un manège de chevaux de bois décrépit. Une affiche dans une vitrine vante le concours annuel du plus gros mangeur de hot-dogs. Renonçant à m’inscrire à cette compétition de haut vol, je poursuis mes déambulations. Le doute s’installe : ce voyage à Coney Island est-il vraiment une bonne idée ? Je commence à me sentir nostalgique. Quelques attractions tournent au ralenti. Les salles d’arcades ont quasiment toutes tirées leur rideau de fer. Une poignée de boutiques étirent les vacances jusqu’à la dernière limite. Et même si l’enseigne lumineuse d’une baraque fait de la résistance, le parc d’attraction Astroland a des allures de cirque qui plie bagages. Même la grande roue est arrêtée…
Mais le Cyclone Roller Coaster marche encore ! Ce mythique Grand huit, datant de 1927, fermera ses portes ce soir jusqu’en avril prochain !
Le wagonnet se jette dans le vide
Qu’est-ce qui m’a pris ? L’ambiance » fin de saison » sûrement… Toujours est-il que, sanglée dans mon petit wagonnet, sursautant à chaque grincements des rails, je gravis la vertigineuse pente jusqu’au sommet des montagnes russes.
Quelle mauvaise initiative ! Le wagonnet se jette dans le vide. Tout mon corps se crispe. Je tombe, c’est affreux ! Juste avant de m’écraser au sol, je remonte en flèche, couchée sur le côté ! Mon estomac ?… Il est resté sur la promenade ! Mon voisin pousse des cris enthousiastes : It’s so great ! Et bien moi, comment dire ?… Je ne profite pas !
Les mots ne franchissent pas mes lèvres. Mon cerveau, bloqué, a déclaré forfait ! Deux secondes de répit avant une nouvelle plongée dans l’abîme… Une seule pensée : quand est-ce que ça s’arrête ? Il faut que ça s’arrête ! Pourquoi donc suis-je montée dans cette attraction qui brinqueballe de tous côtés à la vitesse de la lumière, et qui, j’en suis sûre, va d’ici peu avoir la mauvaise idée de me mettre la tête à l’envers ?… Alors que j’aurais pu aller à l’aquarium ! Le Cyclone Roller Coaster promet excitation et fun. Je ne m’amuse pas du tout ! Je crois que je n’ai pas respiré depuis trois minutes. Mâchoires serrées, mains crispées, yeux fermés, je ne vois rien, je n’entends rien…
Ma dernière pensée consciente est pour un film (le cinéma, même en situation extrême…) Radio days, de Woody Allen. Alors que mon voisin hurle de plus belle, j’ai la vision fugace d’une famille, dans les années 30, l’oreille collé à la radio écoutant Orson Welles faire croire à toute l’Amérique qu’une invasion extraterrestre a commencé… tandis que la Grand huit de Coney Island passe juste sous la fenêtre…
Ça s’arrête enfin…. Surexcité, mon voisin de wagonnet me demande ce que j’ai préféré. Moi ?… Les trois secondes en suspend tout en haut du Cyclone, quand la plage de Brighton Beach s’étalait sous mes yeux… Après, je ne me souviens de rien !